Publié le 3 mai 2013 par Jean-Pierre ♫ - Dernier commentaire le 19 novembre 2013

Rien qu'un instant

Imaginez.
Imaginez un seul instant.
Une journée très ordinaire déroule ses heures avec paresse.
Un frais matin de printemps, pourquoi pas.
C'est un dimanche.
Les queues s'allongent aux portes des boulangeries.
Queues d'indolence et de sourires.
Le ciel est bleu sans une larme,
moucheté de nuages épars,
éclatant d'une fraîche luminescence.
Le temps qui passe est sans insolence.
Amoureux tard levés achetant un croissant,
familles endimanchées choisissant un gâteau,
nul n'attend, tout prend son temps.
Imaginez un seul instant cette paresse qui s'évapore,
ce calme inaliénable,
et vous dans le décor savourant tout cela comme on se désaltère à la fraîcheur d'une source.
Rien qu'un instant.

Mais soudain un pincement.
Quelque chose ne va pas.
Quelque chose ne va plus.
Quelque chose cloche dans le décor.
Quelque chose d'imperceptible, d'inexorable, de troublant.
Insaisissable fissure qui cisaille votre cœur.

Pourtant, nul ne trésaille.
Vous seul, assurément, percevez le danger.
Vous seul sursautez, vous seul êtes troublé.

Rien qu'un instant et tout s'efface,
et tout retourne à sa place.
La petite place et son printemps,
les boulangeries aux sourires indolents,
et le soleil qui s'illumine.
Tout semble égale et sans changement.
Rien ne paraît, tout recommence.

Vous seul savez, vous seul tremblez
au souvenir de cet instant,
de cet instant terrible où tout put basculer,
de cet instant possible où tout basculera.

Vous admirez le temps qui passe,
le soleil au sourire indolent,
la petite place, les boulangeries et le printemps.
Et vous pensez, assurément,
pourvu que rien jamais ne s'efface,
même un instant,
rien qu'un instant.

Évry, le 19 avril 1986