Publié le 25 mars 2016 par Jean-Pierre ♫ - Dernier commentaire le 26 mars 2016

Une nuit à Bruxelles (Tranches de vie - épisode 2)

Fin septembre 1986, un nouvel attentat vient d'être commis rue de Rennes à Paris par un mouvement palestinien.

Pour ma part, avant de pouvoir continuer mes études d'ingénieur, je dois passer plusieurs oraux de rattrapage. Dans une résidence universitaire presque déserte, je passe une semaine éprouvante à la recherche de quelques points salvateurs.

Le vendredi, enfin, je décide d'aller me reposer chez mon père à Compiègne. Me voici Gare du Nord. Sur le panneau des départs, un train pour Bruxelles est annoncé. C'est, me semble-t-il, celui que je prends d'habitude. Il part dans dix minutes. Je fais la queue au guichet tout en comptant mes sous. Je n'ai que 42 francs or il en faut 43 pour acheter un billet et la carte bleue n'est pas acceptée. Je pourrais sortir de la gare et traverser le boulevard pour me rendre au distributeur le plus proche mais je raterais mon train. Alors, tant pis pour le billet, je saute dans ce dernier.

Quitte à voyager sans billet, je m'installe en première classe. Peu après le départ, un message annonce aux voyageurs que des policiers vont venir effectuer des contrôles et que nous devons donc préparer nos papiers d'identité. Des liens ont été établis entre les terroristes palestiniens et la Belgique. Je n'ai pas de pièce d'identité sur moi mais qu'importe : je m'arrête avant.

Quand le train arrive à Compiègne, tout au contraire de ralentir, il accélère et c'est stupéfait que je vois la gare s'enfuir au loin. Je demande, inquiet, à mon voisin s'il sait quand nous arriverons à Saint-Quentin mais il me répond qu'à sa connaissance le train est direct pour Bruxelles…

Je me rends alors auprès des policiers qui sillonnent le train et tente de leur expliquer ma situation mais c'est à peine s'ils m'accordent un coup d’œil : je ne dois pas avoir une tête de terroriste. Je rejoins alors le contrôleur mais ce dernier se montre bien plus hargneux. J'ai beau lui expliquer que je n'ai pas de carte de d'identité lui permettant d'établir une amende, il ne me lâche pas avant Bruxelles ou, résigné, il me laisse partir.

Il est dix heures du soir. Par chance, ma sœur habite à Bruxelles. Je monte donc dans le tramway qui mène chez elle. Fatigué, je somnole quand, soudain, je me rends compte que nous sommes Gare du Nord. Or ma sœur habite au sud de la Gare du Midi. J'ai donc pris le bus dans le mauvais sens ! Je descends à l'arrêt suivant. Il se trouve à l'orée d'un vaste boulevard, aussi sombre que désert. Après avoir changé de côté afin de revenir à la Gare du Midi, je vois, en face de moi, deux Maghrébins qui, tout en discutant, jettent des regards de plus en plus insistants vers moi. Inquiet, je décide alors de me rendre à pieds à la Gare du Nord, longeant le boulevard aussi sombre que désert.

Après avoir marché quelques mètres, j'entends quelqu'un courir vers moi. C'est l'un des deux Maghrébins qui me plaque brutalement au sol. Il m'explique, très énervé, que je fais partie du groupe qui, trois semaines plus tôt, l'a agressé. J'essaie en vain de lui expliquer que je viens à peine de débarquer à Bruxelles mais rien n'y fait, bien au contraire. Son compagnon tente en vain de le calmer mais c'est finalement l'arrivée d'un vieux monsieur avec une canne qui les met en fuite. Je me relève, du sang coulant sur mon visage, et reprends, très secoué, mon trajet vers la gare.

Là, je trouve sans peine un train qui se rend à la Gare du Midi. J'explique ma situation au contrôleur qui s'éloigne sans commentaire. Mais un Maghrébin qui m'a entendu me donne un peu d'argent ainsi que l'adresse de son frère, à Paris, où je pourrai le rembourser.

Arrivé à la Gare du Midi, je peux donc m'acheter un billet pour Compiègne, à bord d'un train de nuit qui partira bientôt et, en attendant, je me rends dans une brasserie laver mon visage et manger une bonne plâtrée de spaghettis bolognaise. J'arrive finalement à Compiègne vers six heures du matin...