Publié le 5 septembre 2016 par Jean-Pierre ♫ - Dernier commentaire le 6 septembre 2016

Conversions multiples (Tranches de vie - épisode 4)

En 1989 - j’avais alors 24 ans - par un bel après-midi d'été, je croise dans le train une étudiante marocaine en goguette. Un jour ou deux plus tard – il est toujours bon de prendre le temps de la réflexion – nous décidons de nous marier. Pas tant de nous marier pour le symbole civil ou religieux, mais d’abord pour sa famille, musulmane traditionnelle, et surtout pour qu’elle puisse vivre en France car les frontières étaient déjà assez étanches (bien moins qu’aujourd’hui pourtant !).

A la mairie de mon domicile, on m’explique qu’il lui faut fournir un "certificat de coutume" que son consulat lui remettra s’il la déclare apte à se marier selon les lois marocaines.

Nous comprenons vite ce qui nous attend. Au Maroc, l’islam est religion d’état. Il est donc interdit à une Marocaine d’épouser un non-musulman. Or, pour être musulman, ne suffit-il pas de déclamer en Arabe la profession de foi suivante : « J’atteste qu’il n’est d’autre dieu que Dieu et j’atteste que Mahomet est son prophète. » Que nenni ! nous rétorquent les employés consulaires qui nous envoient direct à la grande mosquée de Paris, seule à leurs yeux habilitée à vérifier l’étendue de ma foi.

Là, un sympathique professeur me convie à suivre ses cours de religions, ce que je fais avec application. Mais l’heure tourne comme un visa touristique sur le point d’expirer aussi, après le deuxième cours, j’attrape ce dernier dans un coin et lui explique que c’est tout de suite ou jamais !

Aussi fataliste que bienveillant, ce monsieur me répond à peu près « Les voies de l’Islam sont impénétrables. Qu’importe le chemin du moment qu’il vous mène à la Voie Droite. » Puis il prend rendez-vous avec l’iman habilité à me convertir et, dès le lendemain, me voici devant ce dernier.

La mine sévère dans sa vaste djellaba blanche, celui-ci commence par les questions de bases, qu’il pose en Arabe, la langue officielle de l’islam (et qui sont fort heureusement traduites par "mon" professeur) : quels sont les cinq piliers de l’islam ? Puis-je réciter la Fatiha ? (Il s’agit d’une courte sourate qui correspond au "Notre Père". J’ai la mémoire encore fraîche à l’époque aussi l’ai-je apprise phonétiquement par coeur sans peine.), et bien sûr la profession de foi déjà citée plus haut.

Je réponds en Français mais, là, nul besoin de traduction car cet imam comprend parfaitement cette langue.

Puis viennent des questions plus techniques comme, par exemple, combien de fois faut-il plier les genoux durant la première prière (Il semble en effet que le nombre de génuflexions soit très précisément codifié…)

Fort heureusement, j’ai mon traducteur qui, devant ma mine désorientée, sait reformuler la question :
- Durant la première prière, il faut plier les genoux deux fois, trois fois ou – ajoute-t-il en insistant d’un ton appuyé – quatre fois ?
Je réponds alors avec un aplomb qui m’étonne moi-même qu’il s’agit bien entendu de quatre fois ! (N’allez pas vérifier. J’ai mis ces nombres au pif. Cela fait très longtemps que j’ai oublié les détails de cette conversion.)

Quoiqu’il en soit, pas dupe pour deux dinars, mais qu’importe, l’imam prend bonne note de ma foi indiscutable et, dès le lendemain, un superbe certificat de conversion en Arabe et en Français m’est remis. Il contient de magnifiques formules alambiquées expliquant en détail combien mes intentions sont pures et combien ma foi est immense. Il y est par ailleurs précisé que je m’appelle désormais Omar (Je ne sais plus pourquoi j’avais choisi ce prénom mais c’est peut-être uniquement en hommage au personne de Tintin, le pittoresque Omar ben Salaad.)

Bref.
Dès lors que je lui ai remis le fameux "certificat de coutume", l’administration française est elle fort conciliante et, moyennant un délai usuel de publication des bans, nous pouvons rapidement forniquer en toute légalité, aussi bien aux yeux de la République qu’à ceux, plus sourcilleux, du Royaume.

***

Quelques années passent. On s’enlace, on se lasse, on se quittent, on divorcent sans pertes ni fracas, encore fort jeunes, sans enfants déchirés ni demeure à partager (à part un assortiment de verres de thé à la menthe mais, vu qu’il y en a six, il n’est pas trop difficile d’en prendre chacun la moitié).

***

D’autres années passent, où je croise une Haïtienne puis une Suissesse (mais les Suissesses sont trop riches pour épouser un Français qui n'est qu'un simple ingénieur), et me voici un jour de retour au Maroc, pays où je ne me suis plus rendu depuis dix ans. Il fallait s’y attendre : me voici de nouveau amoureux d’une Marocaine…

Cette fois-ci, pas question de convoler en France. Les conditions d’obtention d’un visa touristique sont devenues tellement sévères qu’il faut être fonctionnaire ou propriétaire d’un commerce ou d’un solide bien immobilier pour espérer décrocher le Saint Graal. Nous nous marions donc au Maroc et, là, c’est une toute autre aventure.

Comme c’est moi l’étranger, c’est à moi de présenter un "certificat de coutume", ce qui ne pose aucun problème, étant dûment divorcé. Puis vient le temps de se confronter à une chose indescriptible, adipeuse et molle autant qu’absurde et stupide : l’administration marocaine ou plutôt non, les administrations marocaines, car nous sommes confrontés à quatre si je me souviens bien (souvenirs pénibles et largement oblitérés) : la police, qui me demande un CV complet indiquant jusque dans quelles écoles primaires et quels collèges j’ai étudié, la préfecture, avec une dame patronnesse plus grosse et plus lente qu’une baleine échouée, qui s’ennuie à mourir dans son petit bureau sinistre et glacé car nous sommes en plein hiver et il n’y a pas de chauffage, encore une autre administration dont même les membres ne doivent pas savoir à quoi elle sert et, pour finir, l’adoul, qui est l’agent chargé d’enregistrer les mariages.

J’ai bien entendu apporté avec moi mon superbe certificat de conversion rédigé en Arabe et en Français, délicatement décoré de vertes arabesques. Je crois même l’avoir montré à presque toutes ces administrations mais il n’a éveillé aucun intérêt, tout juste une indifférence molle et presque morte, une indifférence que seuls quelques billets échangés discrètement entre ma future et des subalternes réveille vraiment (Car les fonctionnaires n’acceptent aucun pot de vin, cela va de soi ! Mais si d’aventure un de leurs subalternes leur amène des billets égarés, ils ne vont quand même pas les jeter aux chiens.) Bref : tout est en fait assez bien codifié et chaque acte administratif s'accompagne d’un bakchich versé aussi discrètement qu’indirectement mais dont le montant est plus ou moins connu de tous (Il y a toujours une marge de négociation cependant je ne suis jamais mêlé à ces petits tracas. Il faut avoir grandi dans ce cloaque pour s’y dépêtrer.)

Conclusion de l’histoire, l’adoul m’a demandé de confirmer par écrit ma conversion – on ne sait jamais, la grande mosquée de Paris, ça ne sonne pas très sérieux – et nous avons finalement un jour été déclarés officiellement mariés (Je ne sais même pas quel jour exactement car ce circuit touristico-administratif a duré plus d’une semaine). Mais surtout, à ma grande tristesse, dans la tourmente, j’ai égaré mon adorable certificat de conversion…

Ah oui, quand même, en cours de route, j’ai déclaré officiellement avoir versé à ma future la somme de dix milles dirhams, soit environ mille euros, en guise de dot (Ma femme m’avait dit que c’était le prix de base pour s’acheter une épouse au Maroc. En dessous, ça fait pingre.) Elle-même a signé les avoir intégralement reçus. Je garde d’ailleurs précieusement ce document que je lui montre à chaque fois qu’elle m’agace, lui rappelant que je l’ai achetée un bon prix et que j’ai donc le droit d’en réclamer pour mon argent. Ça ne manque jamais de l’énerver, allez savoir pourquoi.

En tout cas, et pour conclure, si quelqu’un déclare un jour être davantage musulman que moi, qu’il commence par me dire combien de fois il s’est converti. Ah mais ! Plus converti que moi, tu meurs !!! (et tu vas droit au paradis d’Allah...)