Publié le 8 septembre 2016 par Jean-Pierre ♫ - Dernier commentaire le 16 septembre 2016

Coups d’états à répétition (Tranches de vie – épisode 6)

Je passe rapidement sur le premier coup d’état de ma vie que, pour être tout à fait honnête, j’ai un peu raté.

Tout le monde connaît les pieds-noirs mais qui connaît les pieds-rouges ?

Il s’agit de Français qui ont décidé de s’installer dans la toute nouvelle république socialiste algérienne. C’est un jeune pays porteur d’espoir, membre du "mouvement des pays non-alignés", mouvement qui s’oppose tant au capitalisme des Occidentaux qu’au soviétisme de l’URSS.

C’est donc en Algérie que, arrivés séparément, mes parents, tous deux pieds-rouges, se rencontrent, se marient et c’est là que je nais par un frais matin d’avril 1965.

Mes parents se plaisent bien dans ce pays où ils enseignent depuis déjà plusieurs années (Mon père est arrivé en 1962 et ma mère en 1963). Après Sétif, ils se sont installés à Aïn Taya, petite station balnéaire située près d’Alger.

Mais voilà que le 20 juin 1965, le méchant général Boumédienne, chef de l'État-Major Général de l'Armée de libération nationale, excusez du peu, pique la place de président au fort civil Ben Bellah élu trois ans plus tôt lors de l’indépendance. (Au même moment, en Centrafrique, le colonel Bokassa, tout juste nommé chef d’état major de l’armée, renverse le civil Dacko mais de cela ma famille ignore tout.)

Commence alors le règne des généraux, qui n’est d’ailleurs toujours pas terminé…

Mais bon, comme je l’ai indiqué juste avant, j’avoue ne pas avoir suivi de très près cette histoire. J’avais alors d’autres préoccupations plus basiques. C’est plus tard que je m’y suis intéressé. Ce coup d’état marque la fin d’une courte aventure familiale en Algérie et le retour sans tarder sur la terre de mes ancêtres les Gaulois.

***

Quatorze ans ont passé. Mes parents sont depuis longtemps divorcés et ma mère s’en est allée seule tenter l’aventure en Afrique Noire. Elle s’est d’abord retrouvée en Côte d’Ivoire où elle a un peu galéré puis la voilà embauchée par le ministère de la coopération qui l’envoie comme prof de maths en Centrafrique.

Oups !
Pardon !!
Il faut dire Empire Centrafricain !!!

Car en 1965, le colonel Bokassa, tout juste nommé chef d’état major de l’armée, s'est emparé du pouvoir dans la foulée.
Mais surtout, le 4 décembre 1977, soit deux jours après la date anniversaire du sacre de Napoléon, Bokassa se fait lui aussi sacrer empereur en grandes pompes. Dans ce pays très pauvre, il n’a pas hésité à se faire construire un trône en or, réplique exacte de celui de son illustre prédécesseur...

Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou, a dit un jour quelqu’un.

Bokassa est sanguinaire et sans pitié. Les lycéens, qui ont en moyenne vingts ans (il n’y a pas encore d’université à l’époque), ont le sang chaud qui bouillonne. Ils multiplient les révoltes et Bokassa multiplie les arrestations, les massacres et les pires horreurs.

En janvier 1979, les révoltes sont durement réprimées, pas à coups de gaz lacrymogènes, non, plutôt à coup de tirs à balles bien réelles. Et gare à ceux qui sont arrêtés. Ils sont en général sommairement exécutés.

En avril de la même année, me voici trois semaine en Centrafrique où je passe les vacances de Pâques chez ma mère. Il y a encore quelques troubles et, régulièrement, Bokassa va faire son show à la radio (Encore très peu de Centrafricains ont la télé alors que, jusqu’au fond de la brousse, la radio porte son écho).

Il fait son show en deux langues, le Français, langue officielle, et le Sango, une des langues ethniques qui est depuis longtemps déjà la langue véhiculaire du pays. Et le discours en Sango est beaucoup plus violent que celui en Français, même s’ils sont tous les deux délirants de folie. Ma mère a enregistré l’un d’eux sur une cassette qu’elle me confie. De retour en France, je la transmets à un journal qui en publie le contenu (Ne me demandez pas quel journal, j’ai oublié, mais ce n’était pas un grand quotidien national.)

En France, on parle surtout de l’"Affaire des diamants de Bokassa", que celui-ci aurait offerts à Giscard. Révélée par le Canard Enchaînée, cette affaire fait beaucoup jaser. Le fait que la France soutienne à bouts de bras ce régime sanguinaire semble moins important. C’est toujours la même histoire de la poutre et la paille… Mais Giscard n’en peut plus de cet empereur trop encombrant. Il craint fort que ces diamants nuisent à sa prochaine campagne pour l’élection présidentielle de 1981.

Cette année-là, fâché avec ma belle-mère, j’ai décidé d’aller vivre avec ma mère.
Aussi, le 20 septembre 1979, à 18h, nous atterrissons donc dans l’Empire.
Il fait déjà nuit, comme c’est le cas sous les tropiques et l’ambiance dans les rues est sinistre.
Pas un chat !
Par contre, que de militaires qui patrouillent un peu partout. C’est glaçant...

Ma mère ne se souvient plus de l’endroit où elle a laissé les clés de sa villa.
Aussi nous allons nous installer à l’hôtel.
Nous y dormons comme des loirs, ignorant tout de ce qui se trame dehors.

Car en pleine nuit, profitant de ce que Bokassa est allé à Tripoli demander de l’aide à Kadhafi, l’armée française débarque. Je me souviens du dessin de Plantu illustrant cet événement : on y voit un légionnaire au garde-à-vous devant Giscard, en arrière-plan un avion militaire dans lequel embarquent des soldats ainsi qu’un vieil Africain voûté tenant une sacoche sous le bras, et disant : « Trois jeeps, trente hommes et un président de la république ! Nous sommes prêts à décoller ! »

C’est à peu près ce qui est arrivé. Mille légionnaires ont pris sans peine le contrôle des points stratégiques et, à ma connaissance, seuls quelques soldats qui surveillaient le palais impérial, situé à cent kilomètres de Bangui, ont été tués. La garde de Bokassa n’est pas napoléonienne. Elle préfère se rendre que mourir.

Quant au prédécesseur de Bokassa, qui avait depuis longtemps refait sa vie en France, il a dit-on été réveillé en pleine nuit et embarqué quasiment en pyjama afin de remplacer de force celui-là même qui l’avait viré en 1965.

Mais j’en reviens à ce matin de septembre. La ville est en effervescence. Le peuple est ravi ! C’est l'ébullition, la folie ! Les magasins sont bien vite pillés. Chacun se sert à volonté. Je me souviens de l’unique librairie de Bangui, avec la photo de l’impératrice trônant dans la vitrine, et de la première pierre jetée sur ce portrait honni. Je me souviens être repassé là quelques heures plus tard : plus de vitrines bien-sûr. De plus, le sol de la librairie était jonché d’au moins vingt centimètres de livres écrasés. J’ai ainsi récupéré "On achève bien les chevaux" que j’ai lu peu après pour ma plus grande édification !

Je me souviens aussi de la chasse aux espions libyens. Il se disait qu'il y en avait partout. Mais ça n'a duré qu'un jour ou deux et, en effet, certains ont été arrêtés.

Mais surtout, je me souviens de la deux-chevaux jaune de ma mère que nous sommes allés récupérer. Elle était bien entendue immatriculée ECA, avec un E comme Empire et, du coup, des jeunes dans la rue ont commencé à nous courir après et nous lancer des pierres. Là, j’ai vraiment eu peur ! Réfugiés précipitamment dans la Mission Protestante, nous avons trouvé quelqu’un pour vite repeindre le E maudit en un R autrement plus républicain.

Je me souviens de ce pilote d’hélicoptère français avec lequel nous avions sympathisé et qui semblait sans cesse s’excuser d’être militaire. Il aimait surtout piloter. J’espère pour lui qu’il a quitté l’armée. Mais, à mon grand regret, je n’ai pas pu voler dans son engin, juste le visiter au sol.

Je me souviens aussi de nos voisins, de riches Centrafricains qui avaient plusieurs fois dîné chez Bokassa. Or, comme ce dernier avait la réputation d’être anthropophage et de servir en guise de dîner des opposants politiques savamment mijotés, lorsqu’on les questionnait sur ces dîners, ils répondaient invariablement n’y avoir mangé que du poisson.

***

Plus tard, bien plus tard, quand tout est redevenu calme, nous avons visité une des villas que Bokassa possédait à Bangui (son palais impérial se trouvant loin en brousse), visite guidée effectuée sous la bonne garde d’un militaire centrafricain. Il y avait là tout un tas de minis trônes impériaux. J’en ai acheté un, bien entendu, qui continue de trôner dans mon salon encore aujourd’hui. Si ça se trouve, certains de mes visiteurs me prennent pour un admirateur de Napoléon...

PS : Je viens de voir sur un site que mon trône se monnaie 100 euros...