Publié le 19 septembre 2012 par Jean-Pierre ♫ - Dernier commentaire le 6 octobre 2012

A propos de la guerre...

Pour s'éloigner un peu des conflits en cours et revenir à quelques fondements, voici un extrait d'un dialogue entre Hector et Andromaque :

Andromaque : Ah ? Tu te sens un dieu, à l'instant du combat ?

Hector : Très souvent moins qu'un homme... Mais parfois, à certains matins, on se relève du sol allégé, étonné, mué. Le corps, les armes ont un autre poids, sont d'un autre alliage. On est invulnérable. Une tendresse vous envahit, vous submerge, la variété de tendresse des batailles : on est tendre parce qu'on est impitoyable; ce doit être en effet la tendresse des dieux. On avance vers l'ennemi lentement, presque distraitement, mais tendrement. Et l'on évite d'écraser le scarabée. Et l'on chasse le moustique sans l'abattre. Jamais l'homme n'a plus respecté la vie sur son passage...

Andromaque : Puis l'adversaire arrive ?...

Hector : Puis l'adversaire arrive, écumant, terrible. On a pitié de lui, on voit en lui, derrière sa bave et ses yeux blancs, toute l'impuissance et tout le dévouement du pauvre fonctionnaire humain qu'il est, du pauvre mari et gendre, du pauvre cousin germain, du pauvre amateur de raki et d'olives qu'il est. On a de l'amour pour lui. On aime sa verrue sur sa joue, sa taie dans son oeil. On l'aime... Mais il insiste... Alors on le tue.

Andromaque : Et l'on se penche en dieu sur ce pauvre corps; mais on n'est pas dieu, on ne rend pas la vie.

Hector : On ne se penche pas. D'autres vous attendent. D'autres avec leur écume et leurs regards de haine. D'autres pleins de familles, d'olives, de paix.

Andromaque : Alors on les tue ?

Hector : On les tue. C'est la guerre.

Jean Giraudoux - La guerre de Troie n'aura pas lieu