26 août 2009 02h56

En voiture Simone
Je vais vous raconter l'histoire de mon père, quoi PaG comment ça j'enfreins la chatte ???

Automne 1929. Mon grand-père Claude vit aux USA. Il décide de rentrer, crise financière oblige, revenant en Bretagne sans le sou. Un échec pour lui.
Il rencontre ma grand-mère Hélène. Avec deux ou trois sous il rachète un vieux moulin du XVIIIème siècle, le rebâtit de ses mains pour le rendre fonctionnel.
1937, son fils Pierre naît quelques années après sa fille Yvonne.
La guerre est là, très vite, avec son cortège de folie. Claude continue de travailler quand Hélène, suspicieuse de nature et caractérielle, sert à boire aux Allemands dans son établissement sans enseigne. Pendant ce temps-là mon autre grand-mère, la mère de ma mère, organise un réseau de résistance dans la région de Lorient. Passons, nul n'est parfait, la mère de mon père a ses propres raisons.
En 1958 mon père doit se soumettre au service militaire. Direction Oran en Algérie. Il n'avait rien demandé, surtout pas à être là. Quand un officier vient le voir un jour et lui demande "vous le transmetteur, venez ici avec votre radio nous avons besoin de vos services", mon père s'exécute et suit le mouvement avec son poste émetteur sous les bras.
Il n'avait rien demandé... Une cabane comme une autre, un prisonnier, un fellaga... L'officier ordonne à mon père de démonter sa radio, de débrancher les fils, de les les poser sur le sexe à l'air du prisonnier algérien. L'officier demande d'actionner le contact électrique. Le fell crie de douleur. La gégène ils appellent cela... Mon père pleure. Il a honte aussi. Honte de ce pays qui torture ses soit-disant frères français pour une guerre de merde où le peuple tire contre son son "protégé" sans savoir pourquoi, sans savoir pour qui. Il a honte de voir les fonctionnaire français inviter violemment le peuple d'Oran et de Tlemcen a poser la main sur le bulletin OUI pour adouber un référendum en l'honneur d'un général français devenu président, sachant que le colonisé ne sait lire ce bulletin et que la main l'oriente vers la couleur blanche du OUI et que l'amas de bulletin noir n'a pas été touché.
Il a honte mon père quand il entend la nuit les avions dans le ciel et le matin quand il voit les dégâts causés par le napalm sur les villages innocents. La sable rouge...
Il a honte et il pleure quand il dévisage la femme pendue à une poutre, car elle n'avait pas vendu son homme. Il pleure d'autant plus que cette pauvre femme a été violée par 3 militaires juste auparavant...
Il pleure quand son meilleur ami saute sur une mine qui passait par là.
Et je pleure avec lui, avec ses souvenirs et ses insomnies dues au bruit des bombardements.
Et aujourd'hui on nous juge parce que nous ne sommes pas assez français, parce que certains d'entre nous aiment l'Orient et sa culture, parce que les bombes sont aussi dans nos têtes parfois.
Parce qu'un gouvernement s'est égaré en brandissant une fière colombe pour épater la galerie, tout un peuple a subi, non deux peuples, parce que même les supplétifs auxquels on donna le nom honteux de harkis, ces hommes sans patrie et qui n'en auront jamais, et mon père les aimait bien, il jouait aux cartes avec eux, et pour tout cela on devrait oublier ?
Parce que les larmes de mon père coulent aussi sur mes joues...
Parce que je n'ai pas tout compris, mais bien décidé à comprendre, j'ai entrepris, pour tout cela me jugera-t-on aussi ?

26 août 2009 03h11

En voiture Simone
Restent aussi ceux qui souffrent dans leur chair, ceux qui ont perdu un père à jamais condamné par deux pays qui le rejetaient, les supplétifs.
Reste une enfant que j'ai connue aussi, qui dans ses larmes n'osait prononcer son nom car la France, ce pays au grand nom mais à la petite mémoire, avait oublié.
Reste un mot sur une tombe qui ne verra jamais personne.
Ne reste que des souvenirs et quelques lignes ici, d'un enfant de "la France" au père d'une amie de là-bas :

A toi le Harki
Le banni retrouvé
Au prix d'une lutte
Menée par tes enfants
A toi Chibani
Oublié, relégué
Tu fis de longues marches
De Tlemcen la berbère
Cité du raffinement
A Annaba la grande
La Balad Al Unnâb
A toi à que mon père
Croisa peut-être un jour
Sur une route sinueuse
Au détour d'un djebel
Brûlé par le soleil
Et des drames anonymes
A toi qui dans ton douar
Aux mille orangeraies
Aurait du vivre libre
Loin du bruit des obus
Mon père m'a raconté
Les tortures innommables
Qui hantent sa mémoire
Lui qui vit les montagnes
S'empourprer de napalm
Comme un sirocco fou
Soulève le sable rouge
A toi qui comme lui
Voulait fuir ces lieux
Comme une gazelle ivre
Cherchant une oasis
Au milieu de nulle part
Tu as vécu la honte
La nuit des supplétifs
A toi le Harki, humilié
Sois fier de tes enfants
De ta fille adorée
Mon père aurait aimé
Connaître ton histoire
Je ne t'ai jamais vu
Jamais ne te verrai
Qu'un simple caveau
Où des larmes coulent encore

26 août 2009 09h08

Cou'cou
Quel bel hommage aux Harkis !
Merci, c'est très beau.
Je n'ai pas tout compris non plus, et les témoignages sont rares et douloureux.
Ce partage avec ton Père est fort : il t'a transmis une richesse historique dont (je pense) tu dois faire le meilleur usage.
Si c'est une souffrance aussi pour toi, c'est aussi une force, une force de vie.
A plus tard.

26 août 2009 09h13

Hélène
c'est touchant, Yogi, et ce qui est "marrant" c'est qu'hier, je discutais avec mon proprio (69 ans) qui était appelé pendant la guerre d'algérie et qui m'a raconté ces horreurs de villages passés au napalm, ces copains qui sont morts.... la gègene....et l'oubli complet dans les livres d'histoire.....aucune reconnaissance de l'état.....et le plus grand mépris pour tous ces Algériens tombés, et tous les algériens en général.....
mon proprio est sculpteur, et ces derniers temps il "retape" des stèles de la guerre d'algérie dans le village où il est né....il y grave les noms de ses copains de classe.....Il avait les larmes aux yeux quand il nous a raconté tout ça, et je tombe sur ton post ce matin....coïncidence!

La guerre, c'est immonde, à chaque fois, les hommes disent: plus jamais ça....et à chaque fois, les hommes recommencent à tuer, violer, piller, détruire....au nom d'un chef et d'une "patrie" qui se dit être "des droits de l'Homme"
L'économie même repose sur la guerre, la science et les inventions scientifiques sont pour la plupart récupérées par l'armée et les militaires pour pouvoir toujours tuer plus, massacrer plus, dominer l'autre par la peur.....
On ne parle pas des morts d'Algérie......On fête l'anniversaire de la mort des 6 soldats français tombés en Afganisthan l'an dernier (ces soldats, c'était leur métier, ils ont été payé pour ce job, et bien grassement.....les appelé d'Algérie n'avaient rien demandés, eux....)

26 août 2009 09h37

Jean-Pierre ♫
Jamais on ne célèbre le 18 mars 1962, jour où les accords d'Évian mirent fin à huit ans de guerre avec l'Algérie. Il faut croire que la honte persiste.

Quant aux Harkis, encore aujourd'hui, ils portent sur eux le poids de cette honte.

C'est particulièrement triste.

26 août 2009 09h47

Hélène
l'Histoire est toujours manipulée en faveur de l'un ou de l'autre, suivant ceux qui l'écrivent.....depuis que les Hommes écrivent l'Histoire, c'est comme ça!!!
à l'école, on nous apprend que nos ancêtres Romains étaient les plus forts et les Gaulois, un peuple de sauvages....C'est parti pris pour César, il a écrit la guerre des Gaules....Je ne pense pas que les Gaulois voyaient les choses de cette façon!! 2000 ans après, la propagande est toujours là.....
Et la guerre d'Algérie, si honteuse pour le grand Charles (un autre "César"), tombera dans l'oubli.....

26 août 2009 10h34

Djabali
Cette guerre est un sommet de barbarie et la façon dont elle (n')est (pas) traitée en France une injustice de premier plan...

26 août 2009 11h12
modifiée
26 août 2009 13h00

Martine
Mon père y a été....le silence est la seule réponse qu'il a donné à nos questions !...il est bavard ! très bavard...habituellement !

Ce regard noir qui accompagnait le silence...est resté dans ma tête...

Je ne préfére ne pas savoir ce qu'il y a derrière !

26 août 2009 11h16
modifiée
26 août 2009 13h25

Jean-Pierre ♫
Mon père a eu la chance de débarquer à Alger le 1er janvier 1962, quand la guerre était finie du moins dans l'algérois. Du coup, il n'a pas eu à se battre.

Par contre, c'était le moment où l'OAS s'en donnait à cœur joie, faisant sauter des bombes à tout va. De ça, il ne parle que très difficilement.

Cette guerre est celle du silence.

26 août 2009 11h17

Hélène
D'après ce que j'ai entendu hier, ils ont vraiment vécus des trucs atroces....et c'est dur d'en parler....ça fait remonter d'horribles souvenirs

26 août 2009 13h51
modifiée
26 août 2009 13h53

R.WOLF
le travail de mémoire permet le travail de deuil.

le père de mon père (je ne l' ai pas connu) avait un poste clef au Ministère des Colonies (Belgique). voici un doument sur lequel je suis tombé l' autre jour par hasard, ici aussi je parierais que ce n' est pas dit dans les écoles.

voici d' où vient une partie du fric de mon pays :

http://www.societecivile.cd/...

26 août 2009 13h57

Martine
Je n'ai pas vu de réponse de la part de l'héritier !...L'Histoire est toujours écrite par les vainqueurs !...et les ignominies enterrées bien profondément...Les plus grosses fortunes ont été bâties sur le sang...directement ou indirectement...

26 août 2009 14h02

R.WOLF
tu ne verras pas de réponse de la part de l' héritier; l' avantage de ne pas avoir de fric pour moi, c' est me dire au moins je n' ai volé personne.

mais ce n' est pas si simple ..

26 août 2009 14h05

Djabali
RED, j'avais vu le reportage en question, ça m'a glacé. Le récit de ces années d'une sauvagerie ahurissante était effrayant. Je pense que la colonisation belge a été l'une des plus barbare et je ne peux m'empêcher, quand je passe dans certains quartiers magnifiques de Bruxelles, de penser aux souffrance des peuples du Congo. Rembourser ? pas facile, et puis Michel Collon n'est pas réputé pour sa diplomatie, mais au moins mettre le sujet sur la table, déboulonner les statues de Léopold (ça c'est vraiment une honte, même en Espagne les statues de Franco ont fini par disparaître), changer quelques noms de rues et de stations de métro. Je pense que la Belgique devrait s'engager dans des programmes d'échanges universitaires, aider les scolaires, renforcer le système de santé et soutenir les démocrates... On peut toujours rêver.

26 août 2009 14h16

R.WOLF
Djabali; en Belgique nous sommes discrets, pas comme nos voisins français, les suisses, les hollandais sont aussi des gens très discrets; ils n' en sont pas philantropes pour autant.

quand on parle de la fin du colonialisme, moi, je me pose la question de : mais qu' est-ce qui a changé réellement? les apparences, seulement les apparences.
c' est un sentiment plutôt qu' une analyse, je m' y connais très mal, insufisemment en politique .. quand à la politique ici, je zappe, ne m' y intéresse pas du tout; c' est trop nul, mais ça c' est connu.

26 août 2009 14h16

yv
magnifique, yogi, le plus bel homage, aux victimes (vivantes ou mortes) de cette saloperie barbare...et quand j'entend cette fameuse maxime "se qui ne te tu pas te rend plus fort", je pense à tous ceux que la vie à matyrisée et qui en sont devenus handicapés.
biz yv

26 août 2009 16h27

Djabali
en fait le schéma classique c'est mettre au pouvoir une élite locale pour servir d'interface entre l'ancien colon et l'ancien indigène...

26 août 2009 17h29

yv
voilà un autre héritage de l'époque coloniale, et quand je pense à sarko qui avait dit à ce propos "faudrais peut-être avoir honte d'être français?" et bien j'ai honte pour lui et tous ceux qui ne mesurent pas l'horreur qui a été semé
Sainte-Livrade-sur-Mékong

Un camp de “rapatriés” d’Indochine s’étiole peu à peu au cœur du Lot-et-Garonne. Les quelques “grands-mères de Saigon” qui y vivent encore perpétuent la mémoire douloureuse de leur relégation.

20.08.2009 | Tommaso Basevi | Diario

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Fiches pays
Cambodge
France
Laos
Vietnam
Contexte

Le Centre d’accueil des Français d’Indochine (CAFI) de Sainte-Livrade a été créé après la défaite de Diên Biên Phu, en 1954. Ce camp composé de 26 baraquements militaires préfabriqués a accueilli à partir de 1956 un total de 1 160 personnes, parmi lesquelles un grand nombre d’enfants (60 % du total). Ces “logements” ne comportaient ni salle de bains, ni eau chaude, ni WC et le règlement intérieur interdisait de sortir du camp sans autorisation administrative.

Elles s’en vont l’une après l’autre. Comme de petites lucioles attrapées par la poussière du temps, elles s’éteignent dans leurs maisonnettes entourées de jardins bonsaïs, emportant avec elles une histoire demeurée secrète et laissant une ultime trace lumineuse sur le seuil. Comme par enchantement, la vieillesse a balayé la peur. Aujourd’hui, les dernières “grands-mères d’Indochine” de France ont enfin envie de faire connaître ce qu’a été leur vie. Mais l’endroit où elles ont vécu pendant plus de cinquante ans, le camp d’accueil pour les rapatriés de la guerre d’Indochine, près de Sainte-Livrade, dans le Lot-et-Garonne, est maintenant presque vide. La plupart des “ré­sidents” se sont dispersés aux quatre coins de la France.

Pendant un demi-siècle, elles ont gardé pour elles leurs rancœurs et aujourd’hui elles disent enfin leur sentiment de s’être fait voler leur vie. Dans l’illusion d’éphémères amours coloniales, veuves ou épouses abandonnées et trahies par des militaires ayant une double vie, elles avaient été précipitamment embarquées avec leurs enfants après la “débâcle” française en Indochine, puis envoyées loin des regards indiscrets, dans une région oubliée de tous, parquées dans un camp contrôlé par d’anciens fonctionnaires de police, entouré de barbelés. Joséphine Le Crenn est une petite silhouette fragile, recroquevillée sur son divan. Mais sa voix est limpide, comme ses pensées. Elle se lève en s’aidant de deux cannes et regarde en arrière. “Le premier jour, quand on nous a amenées ici, au Petit Saigon, j’ai voulu mourir. Mon fils, qui avait 4 ans, ne voulait pas descendre du car et m’a demandé : ‘Maman, c’est ça la France ? — Oui, mon fils, c’est ça la France’, lui ai-je répondu. Il faisait froid, l’herbe était haute entre les baraques. On nous a donné une écuelle et deux couverts, et on nous a laissés comme ça.”

Couvre-feu à 22 heures et paternalisme au quotidien

Joséphine a 98 ans. Elle est née dans la région de Hanoi et parle un français parfait. Elle l’a appris à l’école des colonisateurs. Ses yeux, qui ne sont plus maintenant que deux minces fentes, me scrutent intensément. Pourquoi cette attention soudaine après des décennies d’indifférence ? “Nous avons été invisibles, des ‘choses’ qu’on a exploitées, des naïves qu’on abusait. On nous décrivait Hô Chi Minh comme un monstre et nous, nous avions peur de lui. Maintenant, savez-vous ce que j’en pense ? Je le respecte. Il a redonné sa dignité à un peuple réduit à la misère.” Les longues heures de solitude passées dans le camp, qui n’est plus peuplé aujourd’hui que de souvenirs, l’ont aidée à penser, à renouer les fils de son existence. Tout devient plus clair et se teinte d’amertume, de regrets pleins de dignité. “Aujourd’hui, il est trop tard et c’est vraiment dommage. C’est aussi notre faute. Nous n’avions pas le courage de nous rebeller, nous avions peur qu’on nous enlève nos enfants, qu’on les place dans des orphelinats. Et puis il n’est pas facile de raisonner lorsqu’on passe toutes ses journées courbées dans les champs à ramasser des haricots et des tomates payées au cageot, le dos brisé quand on rentre à la maison, avec quatre enfants à nourrir.”

On me raconte la bataille épique de Diên Biên Phu, qui scella dans le sang la fin de l’aventure coloniale française en Extrême-Orient, et la fuite éperdue devant l’avancée du Vietminh ; les tribulations du voyage transocéanique, les baptêmes forcés, le débarquement à Marseille et les autocars qui, en 1954, déversaient les jeunes femmes et leurs enfants dans les campagnes désolées du Lot-et-Garonne. On me montre la pagode et le terrain de football, aujourd’hui à l’abandon, aux grillages arrachés, où dans les années 1960 et 1970 leurs fils disputaient des matchs contre les équipes des villages voisins. Les images et les souvenirs défilent et, aujourd’hui, après tant de souffrances, l’Histoire prend des airs de farce amère. L’autorité exercée par les Français “de souche” qui leur faisaient si peur apparaît aujourd’hui pour ce qu’elle était : l’imbécile coup de patte du “tigre de papier” vaincu sur le champ de bataille et incapable de renoncer à ses prérogatives racistes. On évoque le visage dur et fermé du directeur du camp, le sévère M. Bouchet, sélectionné en raison de son long “apprentissage” au Tonkin. Avec ses méthodes autoritaires et paternalistes – et pour le compte du ministère de la Défense –, Bouchet administrait la vie de plus d’un millier de personnes parquées à partir de 1956 dans ce coin de France isolé au milieu des champs.

“Je ne pourrai jamais oublier le regard plein de terreur qu’avait ma mère quand elle était convoquée au bureau de l’administration”, raconte Mathieu Samel, qui a passé son enfance dans ce camp et est aujourd’hui réalisateur de télévision. “Quand nous étions enfants, le couvre-feu était sonné à 22 heures. La seule fois où nos parents, qui pendant des années avaient baissé la tête, décidèrent de former une association, le préfet envoya une garnison de gardes mobiles qui restèrent pendant des années à surveiller l’entrée du camp. Ceux qui ne rentraient pas chez eux à temps étaient forcés de rester dehors pendant toute la nuit. Les signes extérieurs de richesse n’étaient pas admis. Pas de voitures, pas même une Mobylette pour aller travailler. Si au cours d’une inspection on en trouvait une en notre possession, on était chassé du camp et on n’avait plus le droit d’y revenir”, explique Jean-Claude Rogliano, qui aujourd’hui, comme Hélène, est revenu habiter au lotissement N et a installé une petite caméra vidéo artisanale à l’entrée, pour protéger son jardin exotique, méticuleusement entretenu.

Les enfants des grands-mères du camp ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans et habitent Toulouse, Bordeaux, Paris. Quelques-uns sont revenus, à la suite d’un divorce, d’une séparation ou d’un licenciement, mais la plupart “s’en sont sortis”, ont fondé une famille et ont aujourd’hui un métier respectable. Ils reviennent au camp à la mi-août ou pour la fête du Têt, le nouvel an chinois. Ils viennent avec leurs petits-enfants retrouver les mères et les grands-mères, à qui ils demandent de leur préparer le bun chan, le porc laqué accompagné de nuoc mâm et de feuilles de menthe et de persil vietnamien, qu’elles cultivent en pot et qui égaient les façades. Ils viennent aussi s’approvisionner à l’épicerie de la famille Gontran, qui a des produits introuvables ailleurs. Mais la municipalité, ainsi que diverses commissions ministérielles ont déclaré les baraquements insalubres. Pendant plus d’un demi-siècle, rien n’a été fait pour ses habitants, sinon au nom de l’assimilation forcée et de la négation d’une culture qui n’était pas conforme aux valeurs rigides de la république. “Je me demande ce qui pouvait bien passer par la tête de notre institutrice quand elle nous expliquait au cours d’histoire que nos ancêtres étaient des Gaulois”, ironise Mathieu Samel, le documentariste.

“Nous sommes pour toujours ceux du petit saigon”

Aujourd’hui, le camp semble végéter dans l’attente interminable d’une improbable décision communale de “réhabilitation”. Les lettres recommandées ont dissuadé les efforts des grands-mères, des enfants et des petits-enfants pour sauvegarder ces quelques hectares oubliés auxquels les attache un fort sentiment d’appartenance cimenté par les souffrances. Mais la colère pudique de “ceux du Petit Saigon” survivra aux pelleteuses qui ont déjà commencé à creuser. Le camp n’est pas fait seulement de murs et de baraques. “Au fond de nous, nous ne sommes ni français ni vietnamiens, nous ne sommes même pas eurasiatiques comme d’autres métis. Nous sommes ceux du Petit Saigon, ceux du centre d’accueil. Et nous le resterons toujours, quoi que nous fassions”, me dit un garçon de la troisième génération.

Comment est-il possible, alors, qu’un camp qui était un symbole d’exclusion, dont les habitants étaient stigmatisés, se transforme en un hybride atemporel, au fort pouvoir d’attraction ? Au siècle dernier, Hannah Arendt expliquait à propos des camps réservés aux apatrides des démocraties libérales que ceux-ci constituaient “le seul lieu possible pour qui est sans appartenance”. Peut-être le Petit Saigon est-il cet entre-deux, ce succédané d’une patrie impossible, que les enfants héritiers de l’exode indochinois viennent chercher chaque été. Les hésitations des institutions qui ne se résolvent ni à laisser le camp survivre jusqu’à ce qu’il meure, ni à intervenir pour accélérer sa mort montrent peut-être qu’il s’est réapproprié son destin.

26 août 2009 17h51

R.WOLF
merci Djabali, c' est bien ce qu' il me semble et ça confirme ce que je pensais avoir compris.

merci Yv; décidément, ce qu' il y a de bien aujourd' hui c' est que ça devient impossible d' ignorer davantage ce qui n' a pas lieu de l' être, m^me si c' est souvent très tard.

26 août 2009 20h20

Djabali
merci yv pour cet article, j'ignorais totalement l'existence d'un tel camp...

27 août 2009 11h23

En voiture Simone
Le problème en France c'est l'omerta.
Les gens préfèrent éviter les sujets qui fâchent. De plus il y a toujours une association d'anciens ou un cabinet d'avocats qui tente de vous déstabiliser. Voire pire...
Il y a dix ans, mon père a reçu des menaces de mort (par courrier anonyme) suite à la parution de son livre (pourtant à compte d'auteur et peu diffusé).

27 août 2009 13h49

Jean-Pierre ♫
Un très bon film : "L'ennemi intime"

http://www.allocine.fr/film/...

18 avril 2010 15h03

Papy-Baby-seaters
j'ai eu deux personne de ma famille blessée dans cette guerre, j'ai eu la chance de ne pas partir,´réformé pour la vue. Toute les guerres laissent des traces indélibiles

21 avril 2011 17h53

Tony Truand
C'est émouvant, fort et très bien écrit.

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