23 décembre 2012 20h03

Djabali
Le Maroc le jour ...

Je n'arrive pas à m'intégrer à ce Maroc. J'essaie, pourtant, ne serait-ce que par pragmatisme : je vis ici. Pourtant, je n'y arrive pas. Ce pays, ces gens, tout ici ressemble à un bloc qui m'est irréductiblement étranger. J'arrive à m'attacher à l'image de certains individus, je peux apprécier les paysages, rien de plus. Je ne parviens ni à m'y attacher, n'y à y trouver un intérêt profond. Un visage séduisant mais une conversation vide de sens mais sans oublier un instant la recherche névrotique d'un intérêt matériel, aussi négligeable soit-il.

Il faut cependant être honnête : ce que je reproche d'abord au Maroc c'est de ne pas être la Palestine ou l'Égypte. J'ai été chassé de mon paradis, où que je puisse me trouver, ce ne peut être qu'une région de l'enfer. Un enfer d'autant plus intolérable qu'il mêle à une arabité dénaturée une dépendance et une admiration pour moi nocives au colonisateur, à la France. L'air que je respire ici et pour mon organisme un poison aussi assurément mortel que des vapeurs de mercure. Il me faut pourtant bien respirer...

Rien de tel en Orient. Là-bas, l'autre est une invitation à la découverte de soi-même avant même d'être une invitation au voyage. Là-bas, partager la même langue me fait participer à la culture, à l'imaginaire, aux joies, aux peines des individus comme de la population dans son ensemble. Car au-delà de mon attachement singulier pour des hommes ou des femmes, j'aime profondément unitaire, un peuple. Là-bas, j'ai un chez moi, des frères, des soeurs, des neveux. La tombe d'une grand-mère aussi. Là-bas, je suis une partie d'un tout. Ici, je suis aussi seul qu'en France.

La greffe ne prend pas. La question est de savoir qui rejettera l'autre le premier, l'organe ou le greffon. Peut-être que l'écriture sera ce médicament qui fera tenir l'organe étranger en place le temps de trouver une solution plus durable.

15h16. Le soleil n'atteint plus le versant de la colline couvert de cyprès, faisant face au village, sur laquelle se trouve la misérable pièce à demi ruinée du mausolée de Lala Chafia, fille de Moulay Yakoub. Le village, le prolongement de la colline fendue d'un ravin profond où s'enfoncent les racines de l'arbre sous lequel j'étais hier soir ainsi que, plus loin, la montagne profondément entaillée de nombreux ravins qui porte un autre village sont baignés de lumière. Le vieux gardien du tombeau, qui vient de me mendier un peu d'argent (je lui ai donné 5 dirhams) au milieu d'une profusion de phrases de remerciements et de bénédiction ponctuées d'« Allah » en grand nombre est en train de prier, face au tombeau, le soleil sur sa droite.

Une centaine de mètres au-dessous du quartier de la mosquée où le minaret érigé fièrement à côté de sa coupole côtoie un terrain de foot dont ne parviennent les cris d'une jeunesse transpirant le sport, après une boucle de la route venant de Fès, la gare routière et quelques arbres, le village déroule les arcs imbriqués les uns dans les autres de ses ruelles étroites bordées d'immeubles aux formes géométriques, les toits en terrasse descendant par paliers vers le fond de la vallée. Le gris du béton nu et l'ocre prédominent alors qu'une quinzaine d'immeubles se détache par une belle couleur lie-de-vin. Quelques touches de bleu ciel ou d'un vert pâle fané complète le tableau de cette petite station balnéaire posée entre les ramifications d'un profond ravin qui la sépare d'une autre colline à l'ouest avant d'aller former la vallée en contrebas, le sommet boisé et un parc arboré à l'est.

Lentement, se tenant par le bras, un couple passe sur le chemin, néglige le tombeau pour s'engager le long des aubépines et des agaves sur le chemin qui longe la crête derrière nous. La femme, voilée, semble un modèle de respectabilité, une veste légèrement ample couvrant le haut d'un pantalon étroit mais sans excès. L'homme, vêtu d'un jean et d'une veste de survêtement trop large qui lui couvre les fesses, marche en détournant le regard. Ils vont sans doute trouver un coin tranquille pour voler quelques instants de sexe, minutes illégitimes, sous la caresse chaleureuse d'un soleil d'hiver magnifique. Une vingtaine de minutes plus tard, il repart en sens inverse, le pas bien plus alerte, comme pressés de quitter les lieux du délit.

De ses mains, le soleil caresse aussi mon dos, ma nuque découverte, mes cheveux noués en chignon tandis que je contemple le village dont les maisons sont grignotées une à une par l'ombre de la colline sur laquelle je repose. C'est maintenant, quand le soleil, encore autant le ciel bleu, commence à décliner face à la lune qui le suit, à l'extérieur du village et de son animation frénétique (c'est le début du week-end, les gens viennent depuis Casablanca remplir les rues de bruit et d'agitation), en plein coeur des contreforts du Rif, seul, assis sur un muret de moellons recouverts de béton ayant retenu sans doute une ancienne plate-forme maintenant défoncée dont la surface est parsemée ici ou là de mouchoirs, de noyaux d'olive ou d'os de poulet, que j'arrive, enfin, à trouver un peu de repos.

23 décembre 2012 20h32

R.WOLF
Je pensais à toi l' autre jour car il t' arrive de venir ici raconter tes rêves.
Ceux que je fais depuis un moment déjà s' appellent des rêves de compensation. Je suis dans différents lieux, souvent entourés de gens, en voiture, etc ; tout le contraire de ce que je fais actuellement. Je tiens le coup grâce à ces rêves.

Il n' y a pas cinq minutes je venais de lire le road trip d' Hélène (en haut de page, au dessus de toutes les interventions) ; ici il pleut sans s' arrêter depuis quarante-huit heures, vous parlez du soleil.
Il m' est arrivé de me dire, on est sur place, rien ne bouge, et pourtant ailleurs pas si loin, ça n' arrête pas.

J' espère en tout cas que demain soir tu seras avec des gens que tu aimes bien.
Moi, je fais l' infaisable, passer Noël seul, mais faire l' infaisable sera un jour facile pour moi, enfin, je crois.

23 décembre 2012 20h49

Djabali
en fait, pour moi Noël n'a aucune signification, en tout cas je suis content d'être rentré chez moi !

24 décembre 2012 08h39

Hélène
C'est super bien écrit. Merci.
Pour moi non plus Noël ne signifie pas grand chose, mais pour une fois, je suis contente d'être chez moi.

24 décembre 2012 18h08

Djabali
alors bon retour chez toi !

25 décembre 2012 15h11

lurette
Très bien écrit, en effet, Djabali.
Tu n'es pas allé dans le désert, il y a quelque temps ? il me semble que tu en avais parlé.
ça doit être quelque chose d'extraordinaire...

Sinon, tu n'as pas la possibilité d'aller en Palestine, ou en Egypte, de temps en temps ?
Bon, ça ne remplace pas le fait d'y vivre, mais ça peut faire du bien.

25 décembre 2012 16h46

Djabali
@lurette, effectivement, le désert, une expérience très positive. Autant les gens du centre du Maroc peuvent être agressifs, obsédés par le sexe, âpres au gain, méprisants, autant les gens du Sud sont chaleureux, accueillants, sympathiques.

Sinon, pour le Proche-Orient, j'aimerais vraiment beaucoup. Mais ce n'est pas avec mon salaire marocain que je vais pouvoir y aller. J'arrive déjà à peine à me payer le billet pour aller en France deux fois par an.

29 décembre 2012 00h11

lurette
Ah, en effet.. salaire marocain, ça change pas mal de choses, je te croyais dans l'E.N.
L'idéal, serait que tu déniches qq chose dans un pays qui te plaise et qui te permettes de faire un peu de monnaie.

30 décembre 2012 03h55

Djabali

30 décembre 2012 22h46

lurette
Djabali, j'espère que je ne me suis pas mal exprimée ; je voulais dire que ce serait bien, que tu trouves un boulot dans un lieu où tu te sentes bien, et qui te permettes de faire un salaire assez correct pour te permettre un voyage, quand le besoin s'en fait sentir.

31 décembre 2012 16h46

Djabali
c'est comme cela que je l'avais compris ... pas facile en effet.

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