Publié le 1er mai 2013 par sourire - Dernier commentaire le 7 novembre 2015

Le retour de l'enfer

Retour…
C’est flou et tellement présent !
Ma mère juchée sur des chaussures « semelle compensée en bois », robe toute fleurie et taille fine, un petit chapeau planté sur ses magnifiques cheveux noirs, un visage lumineux, me tient la main très fort !
Nous sommes sur ce que les grands appellent le quai de la gare ! C’est immense, c’est triste, ça grouille d’habits militaires, ça crie, ça pleure, et je ne comprends rien.
Je ne sais même plus si j’avais 5 ans ou 6 ans, si c’était en 43 ou 44 ! je sais que maman était belle et moi aussi avec mon superbe ruban bleu pâle dans les cheveux, mes petites socquettes blanches, des chaussures toutes neuves et qui brillaient, une robe de princesse elle, toute bleue et blanche ! qu’est-ce que j’étais fière !
Maman ne me dit rien, elle tend le cou, bouge, regarde partout et tout d’un coup, la grosse locomotive noire avec plein de vapeur et un gros sifflement frôle doucement les bords du quai où des milliers de gens s’agitent ; quelle horreur !
Comme une énorme vague noiratre, des hommes déferlent sur nous, j’ai peur, ils sont bizarres, ils vont m’étouffer !
Et ma mère ? elle est folle ? elle agite le bras qui ne me tient pas, elle hurle « Gaby, Gaby, on est là », elle court, m’entraine, écarte tout ce qui la gène et atterrit dans les bras d’un drôle de personnage, sacoche qui pend, un calot sur la tête, des vêtements d’une surprenante couleur, ni verts, ni bruns, kaki me dira-t-on plus tard ! Qu’est-ce qu’il est moche, maigre, sans couleur ! Mais pourquoi ma maman l’embrasse, pourquoi il me soulève dans ses bras, pourquoi il m’embrasse, pourquoi il pique, et surtout pourquoi ma maman me dit que c’est mon papa et que maintenat nous serons trois!
C’était le retour d’Allemagne des prisonniers , c’était la gare de l’Est, c’était la fin de la guerre !c'était ma fin du Monde
Mais c’était la découverte de ma jalousie aussi ! Comment ce papa venait me voler ma mère? comment osait-il l’embrasser, comment me serrait-il dans ses bras ! je le déteste, je le déteste !
Je ne me rappelle plus le retour à la maison, je ne me rappelle plus ses retrouvailles avec sa mère et son frère qui vivaient la maison à côté mais je me rappelle que ma mère m’a couchée dans un petit lit et m’a dit « tu es grande maintenant ma chérie, tu as un lit pour toi toute seule ! » et après un énorme bisou, elle a laissé cet homme me faire un câlin !
Le monde s’est écroulé tout d’un coup. Que vais-je devenir, ma maman à moi toute seule ne m’aime plus ? Pourquoi je ne peux plus dormir avec elle? et dans ma toute petite tête j’ai décidé de ne plus parler à cet intrus mal rasé et plein d’amour pour sa Lili !Et d'abord, quel drôle de nom il lui donne ! Pourquoi il l’appelle comme ça "Lili" ? Non, je veux qu’il reparte et qu’il nous laisse tranquilles !Je ne l'aime pas, je ne veux pas qu'il reste ici, je, je, je... pleure
J’ai boudé, boudé, boudé, mais ce personnage, surgi de je ne sais où, était tellement gentil que j’ai craqué vite, très vite.’Dès le lendemain il m’a apporté plein de bonheur et nous étions, jusqu’à sa mort, les meilleurs complices face à "notre" Lili. . J’ai trop aimé mon père..